Secousses dans la chaîne du livre
Pour inaugurer ce blog, nous allons parler d’une actualité sur un sujet juridique très technique et très pointu, en essayant d’être clair·es pour tout le monde. En ce moment, une réforme du code civil est en cours, le site Actualitté en parle ici : https://actualitte.com/article/109134/droit-justice/contrats-un-bouleversement-inattendu-pour-l-edition-et-le-livre
Les contrats d’édition et le droit d’auteur étant définis et protégés par le Code de la Propriété Intellectuelle (CPI), la chaîne du livre ne serait pas concernée par cette réforme ? C’est un peu plus compliqué que ça, nous allons essayer d’être clairs.
Nous allons également en profiter pour faire un petit rappel sur le régime social et fiscal du statut d’artiste auteur, et nous pencher sur nos prochaines actions.
Comment c’est-y que ça marche aujourd’hui ?
Effectivement, le contrat d’édition est défini par le CPI, mais le Code Civil est plus général. Le CPI est subordonné au code civil, et le droit d’auteur ne fait que préciser les conditions permettant l’exploitation d’une « œuvre de l’esprit », déjà créée ou en cours de création. C’est dans le droit d’auteur qu’est défini le contrat d’édition, tandis que les contrats dits à demi et les contrats à compte d’auteur sont précisés comme n’étant pas des contrats d’édition mais des sociétés à participation ou des louages d’ouvrage, et régis par le code civili.
Le succès d’une œuvre n’étant pas forcément garanti, et la répartition du chiffre d’affaires par titres suivant comme souvent une loi normale, certain·es auteur·rices peuvent ainsi se voir proposer un à-valoir lors de la signature du contrat d’édition, voir même au moment de l’acceptation d’un projet éditorial. Cet à-valoir est en fait une avance sur droits : l’auteur·rice perçoit une partie de la rémunération liée à la cession de ses droits sur l’oeuvre, puis ne reçoit plus de rémunération jusqu’à ce que le nombre de titres vendus ne dépasse cette avance sur droits. Régulièrement, cette avance n’est pas remboursée et l’auteur·rice peut cependant continuer son activité tout en évitant une trop grand précarité (nous rappelons cependant que les à-valoir ne sont pas systématiques). Cet à-valoir est précisé dans le contrat de cession de droits. Seulement, dans de multiples segments (genres) de littérature, l’édition de nouveaux livres se fait à travers des commandes à des auteur·rices déjà installé·es (l’assurance d’avoir un minimum d’audience). Depuis longtemps, certains syndicats d’artistes demandaient à ce que cette commande fasse l’objet d’un contrat spécifique, dit de commande, sans succès. Cependant, un tel contrat de commande n’aurait finalement pas garanti une meilleure rémunération pour l’artiste, la charge supplémentaire pouvant être compensée par la baisse d’autres rémunérations de l’auteur·rice et la reconnaissance d’une commande risquant de fragiliser le droit moralii. C’était plus ou moins comme ça que cela fonctionnait jusqu’à maintenant.
Seulement, les textes juridiques sont parfois datés, et doivent être modernisés afin d’en faciliter l’interprétation. C’est justement la question du louage d’ouvrage, sensé être modernisé en contrat d’entreprise. Lors de cette réforme, la distinction entre la commande d’un ouvrage à un·e auteur·rice et une cession de droits est appuyée : la commande dépend du Code Civil, le contrat d’édition est régi par le Code de la Propriété Intellectuelle. A ce titre, le contrat d’entreprise appelle à une rémunération distincte de celle liée à l’exploitation de l’oeuvre. Ainsi, la naissance de contrats dits « hybrides » est à prévoir, même si nous espérons que deux contrats différents soient signés, tout comme deux contrats doivent être signés pour l’édition et la potentielle adaptation audiovisuelle (même si la signature de ces deux contrats se fait souvent de manière simultanée).
Bien sûr, cette double rémunération fera augmenter les coûts de production d’un livre, et aura probablement un impact sur la surproduction éditoriale actuellement en cours. Mais tout en augmentant artificiellement le prix de l’édition d’un livre, cette réforme du code civil ne devrait pas gêner pas les syndicats d’artistes dans leur lutte pour une meilleure rémunération (proportionnelle et appropriéeiii). Et puisque seuls les ouvrages issus de la commande par une maison d’édition sont concernés, cette mesure ne devrait pas nuire à la bibliodiversité, souvent issue de propositions aux maisons d’édition (voir, d’autoédition). De plus, si les auteur·rices devront facturer leur travail créatif aux maisons d’édition, elles et ils nécessiteront donc un numéro SIRET, ce qui devrait les inciter à chercher des informations sur le régime social et fiscal lié au statut d’artiste auteur (la difficulté restera d’en trouver des fiables).
Cette professionalisation est importante. On observe aujourd’hui un grand déficit de l’accès à l’information sur ce statut, en partie lié au fait que les maisons d’édition ne sont pas contraintes à fournir ces informations à leurs artistes, voir incitées à payer elles-même les cotisations sociales de l’auteur·rice en communiquant directement les sommes à l’URSSAF et en se contentant de verser ses droits à l’artiste (bien que les maisons d’édition sont sensées devoir fournir des notes de précompte aux artistes, c’est rarement le casiv). Mais le problème est plus général : sur le site même de la retraite complémentaire obligatoire des artistes auteur·rices, le pallier à partir duquel les artistes doivent payer est erroné (900 fois l’assiette sociale à la place de 600 fois)v.
Nous en profitons pour rappeler une nouvelle fois que l’inscription en tant qu’artiste auteur·rice se fait sur le site de l’INPI (elle est toutefois encore possible sur le site de l’URSSAF Limousin), et nous vous laissons quelques liens à partager autour de vous :
– Guide de déclaration du statut d’artiste auteur
– Le régime social et fiscal d’artiste auteur·rice en deux pages
– Le petit guide du régime fiscal des artistes-auteurs
Puisque la commande d’une œuvre sera désormais régie par un contrat d’entreprise et non plus dans les annexes d’un contrat d’édition, cette réforme devrait aussi faciliter l’accès à leurs droits sociaux aux artistes, donc nous vous transmettons ce kit de la protection sociale.
Pour finir, nous conclurons cette première partie sur le fait que si l’accès aux droits et à des informations permettant la professionalisation sont importants, l’absence de critères spécifiques permettant de reconnaître la qualification liée au métier d’artiste-auteur reste problématiquevi. Ainsi, si ce projet de réforme va dans le bon sens (d’un point de vue social, culturel et écologique), beaucoup reste à faire.
Et comment c’est-y que ça marchera demain ?
Parlons peu, parlons de nous. Pendant que vous écrivez et nous envoyez plein de nouvelles pleines d’espoir, nous continuons de travailler de notre côté, la preuve étant cette jolie couverture :

Couverture Licence Art Libre 1.3 Pierre Julien
Le financement participatif du recueil devrait se faire en juin. Nous pensons organiser notre deuxième appel à textes, toujours pour la même collection, sur le troisième trimestre 2023. Les contributeur·rices du premier appel auront une petite exclusivité sur le thème choisi dès que le premier recueil aura atteint la barre des 100 %, les autres le decouvriront le 1er juillet.
L’essentiel de notre communication se faisant sur Mastodon nous pensons déménager sur une instance spécialisée pour les indépendant·es du livre nommée lire.im, mais cela attendra d’avoir un peu de trésorerie. Nous pensons également que la fédération est importante pour les petites maisons d’édition et la décarbonation du livre, et nous sommes heureux·ses que les premières assises de l’édition indépendante aient eu lieu en ce début d’année 2023, débouchant sur la création de la FÉDération des Éditions Indépendantes (FÉDÉI). Nous comptons ainsi rejoindre l’association normande des maisons d’édition indépendantes la Fabrique ô Livres, dès la parution de notre premier recueil.
Enfin, si nous allons utiliser majoritairement ce blog pour vous tenir au courant des actualités, nous aimerions mettre en place un moyen pour que vous puissiez vous inscrire à une infolettre, que nous utiliserions exclusivement pour vous tenir au courant des lancements de campagnes de financement participatif (question d’éviter d’alourdir exagérément vos boîtes mail).
Et c’est tout pour cette première (longue) note de blog. Nous vous souhaitons de bonnes lectures ainsi que d’inspirantes séances d’écriture.
iCode de la Propriété intellectuelle
iiRapport du Conseil Permanent des Écrivains
iiiArticle 73 de la directive européenne du 17 avril 2019 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans le marché unique numérique
ivPour celles et ceux qui pêchent par ignorance, voici un modèle automatisé de certificat de précompte
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