Copie Simple #2

Affiche du festival familial Des bâtons dans les routes contre l'autoroute A133/A134

Nous serons au festival Des bâtons dans les routes, organisé par le collectif Non à l’A133-134. Nous n’allons pas vous faire un résumé de l’histoire de ce projet autoroutier puisqu’il existe un très bon historique sur le site du collectif, et que ce projet n’est finalement qu’une énième bêtise née à une époque du tout voiture, au mépris de toute considération écologique. Détail amusant, cependant, ce projet a été évoqué pour la première fois en 1972, c’est à dire l’année même de parution du rapport Meadows, plus connu sous le nom Les limites de la croissance. Nous nous contenterons de rappeler que ce projet est pour le moment en plein appel d’offres, c’est à dire qu’il peut encore être annulé sans aucune pénalité. Mais pourquoi est ce qu’une maison d’édition se sent impliquée ? Parce que le transport est un enjeu central dans l’écosystème du livre et qu’il est à la base de beaucoup d’autres problématiques que se posent les maisons d’édition mais aussi les libraires, les auteur·ices, les manifestations littéraires, les imprimeries et les bibliothécaires, à propos de la fabrication et la circulation des livres.

Un peu de contexte

La lecture nous fait voyager, et ce de multiples manières. Une bonne partie de la littérature du XVIIIe siècle parlait d’ailleurs de transports amoureux. Et quand on parle du cycle de vie d’un livre, on y trouve là aussi intimement liée la question du transport.

Roue où sont détaillées les émissions de gaz à effet de serre lors du cycle de vie d'un livre
40% Production
11% Distribution
2%Diffusion
6% Édition
28% Librairie
12% Clients
Émission de GES d’un livre vendu en librairie (Source The Shift Project, sous licence « laissez nous tranquilles les libristes »)

Selon certaines projections et calculs, 4 % des émissions se déroulent lorsque l’on transporte le bois et les fibres jusqu’à l’usine de pâte à papier, puis à la papeterie, puis à l’imprimerie. 3,5 % des émissions viennent ensuite du transport depuis l’imprimerie jusqu’au lieu d’entrepôt, et 7 % pour le transport des livres au point de ventei. Notez au passage les 12 % d’émission de GES (Gaz à Effet de Serre) uniquement liés aux déplacements de la clientèle, mettez vous aux mobilités douces bande de filous. Dans l’ensemble, le transport est responsable de près d’un quart des émissions de GES, juste pour arriver dans votre PALii iii.

Vous en avez peut être aussi entendu parler, mais le prix du papier a explosé dernièrement, se répercutant sur les prix des livres en librairieiv. Les causes sont pluriellesv. Entre autres, un marché mondial de la pâte à papier (ou pulpe), la hausse des prix de l’énergie, et une réduction des capacités de production françaisesvi et européennes. Toujours selon le même rapportvii, 40 % des gaz à effet de serre émis lors du cycle de vie d’un livre vendu en librairie le sont lors de sa fabrication, dont une bonne part lors de la production de papier (23%).

Ces émissions s’expliquent par le côté très énergivore de la production de papier : il faut de l’énergie mécanique afin de séparer les fibres végétales, ainsi que de la chaleur pour sécher la pâte à papier. L’industrie du papier carton est d’ailleurs le 5e secteur industriel le plus important en terme de consommation nette d’énergie.

Ce constat n’est toutefois pas une fatalité. Tandis que l’énergie mécanique peut être décarbonée en même temps que l’électricité, la chaleur nécessaire pour sécher le papier peut être générée par des énergies renouvelables telles que la biomasse, le biogaz ou la récupération sur fumée de fours.

Au fond, il fait quel temps en Normandie ?

Historiquement, et probablement en raison de sa proximité avec la capitale et de la Seine, la Normandie est une région productrice de papierviii ix.

Toutefois, avec le développement du numérique et la diminution de la presse papier, les papeteries ont transformé leur production du papier au cartonx, afin d’accompagner l’essor du commerce en ligne, qui lui-même implique la création d’infrastructures capables de prendre en charge le développement du fret routier comme le projet de l’autoroute A133-A134 qui a été mis en place, à l’époque du dogme de la croissance infinie.

De plus, en Normandie, nous avons le Mont Saint-Michel mais aussi un groupe local du GIEC, qui nous permet d’avoir une bonne vision des changements climatiques et de biodiversité sur notre territoire.

Schéma sur la croissance de l'herbe au cours d'une année, avec des vaches marrons sans taches blanches
Sinistre tentative de désinformation du GIEC quant à la couleur des vaches normandes (Source INRAE)

Ce que ce groupe nous indique dans son rapport sur les sols, l’agronomie et l’agriculture, c’est que l’ancienne région Haute Normandie souffre de l’érosion des sols, et risque de voir se multiplier les coulées de bouexi. C’est alarmant, mais toujours selon le même rapport, il est encore possible d’amoindrir les effets du changement climatique en développant l’agroforesterie via l’installation de haies, d’arbres au sein même des parcelles cultivées et tout un tas mesures du même acabit. Biomasse végétale qui pourrait par la suite être exploitée comme bois d’ouvrage tandis que les coproduits (chutes produites lors de la transformation d’une matière première) seraient valorisés, au hasard, pour faire du papier ?

Quelles alternatives ?

La transition énergétique coûtera cher, mais les réparations liées aux conséquences du dérèglement climatique le seront encore plus, et ces coûts augmentent au fur et à mesure de notre inaction.

Nous savons que nous devons nous libérer des énergies fossiles le plus rapidement possible, et c’est totalement incompatible avec une augmentation du fret routier. Afin de continuer à acheminer notre papier, nos livres et autres marchandises, nous devrons mettre en place des centres logistiques en périphérie capables d’acheminer jusqu’aux points de vente les marchandises via des véhicules légers. Ces centres logistiques pourront ensuite être reliés entre eux par du fret ferroviaire, fluvial ou maritime, solutions bien moins gourmandes en énergies fossiles que la solution priorisée actuellement à l’échelle régionale et nationale. Des efforts sont déjà fait en ce sens dans certaines régions, mais manquent d’un réel soutien publicxii.

Vieille image de journal avec des triporteurs
Apprentis commis bouchers en reconversion professionnelle après qu’on soit tous·tes passé·es au régime végétarien (Source Gallica)

Pour décarboner le livre, nous avons donc besoin de réimplanter en France les filières de production de papier. Seulement, celles-ci ne sont pas rentables face au papier carton, et avec tout changement il y a un risque d’effet rebond. En effet, si la production de papier est très énergivore, celle de la pâte à papier est extrêmement polluantexiii, voir entraîne des pratiques de déforestationxiv.

Il existe pourtant des solutions pour faire du papier plus responsable. L’imprimerie est apparue bien avant la généralisation des énergies fossiles. Et à l’époque, ce n’était pas tant les coproduits du bois d’ouvrage qui étaient utilisés, mais les tissus des chiffons et vêtementsxv. Cette façon de faire peut-être industrialiséexvi, bien que les tissus récupérés doivent être composés à 100 % de fibres biologiques, et ne couvrira donc pas les déchets produits par la fast fashionxvii.

Enfin, 50 % de la production de lin du marché mondial se trouve en Normandiexviii. Le lin est une matière première entièrement exploitable, et qui ne nécessite ni intrants, ni irrigation. En consacrer ne serait ce qu’une petite partie à la production de pâte à papier soulagerait beaucoup d’arbres de la déforestation.

Gare à l’effet rebond

Mais attention ! On peut relocaliser l’industrie papetière et diminuer le bilan carbone lié au fret, mais il faut faire attention aux conséquences. En 2022, vous avez peut être eu entre vos mains la meilleure vente toute catégories confondus, la bande dessinée Un monde sans fin de J.M. Jancovici et C. Blain. Voir lu son pendant antinuke et ecolo-puisque-non-imprimé-à-notre-connaissancexix.

Un monde sans fin, c’est une bande dessinée de 1322g vendue à 514000 exemplairesxx. Pour produire un kilo de papier, il faut 500 litres d’eauxxi. Les ventes de cette bande dessinée appelant à la sobriété ont donc occasionné l’utilisation de 339754000L d’eau, soit près de 136 piscines olympiques.

Le GIEC normand (encore lui) a également produit un rapport sur l’eau en Normandiexxii, avec un focus sur la région rouennaise. On y apprend qu’on anticipe une diminution du débit d’eau de la Seine en raison du changement climatique. Réimplanter une industrie papetière en Normandie ne doit pas permettre une augmentation de la production déraisonnée qui impliquerait un usage massif de l’eau, au détriment d’autres consommateur·rices. Une réduction du volume de livres imprimés doit être envisagée, sans impacter ce qu’on appelle la bibliodiversité, c’est à dire la diversité des titres édités.

Homme en train de paniquer face à son compte en banque en fin de mois (Tableau Le cri, d'Edvard Munch)
Petites librairies indé et grands groupes éditoriaux (Selon Edvard Munch)

Il est donc nécessaire de développer parallèlement à la décarbonation du livre des politiques de lecture publique à même de favoriser l’accès aux livres à tous·tes, notamment via une mise en avant de l’action des bibliothèques et médiathèques et au maintien d’une activité culturelle au niveau local.


Sources :

ihttps://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf

iiPile à lire (ndlr)a

iiiChiffres projetés à partir du bilan carbone d’Hachette France fourni au Shift Project. Ces chiffres peuvent varier grandement en fonction de multiples facteurs.

ivhttps://actualitte.com/article/109156/librairie/le-calvaire-des-librairies-face-aux-hausses-de-prix-des-livres

vhttps://www.sne.fr/environnement/penurie-de-papier/

vihttps://www.francetvinfo.fr/replay-radio/expliquez-nous/expliquez-nous-l-industrie-du-papier-en-france_2422215.html

viihttps://theshiftproject.org/wp-content/uploads/2021/11/211130-TSP-PTEF-Rapport-final-Culture-v2.pdf

viiihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Papeterie_Darblay

ixhttps://fr.wikipedia.org/wiki/Moulin_à_papier

xhttps://www.lesechos.fr/industrie-services/industrie-lourde/le-site-de-la-chapelle-darblay-choisi-pour-developper-un-projet-de-recyclage-1386455

xihttps://drive.google.com/file/d/1sObLu-rfVWRHsi-nC2-th26I9R95aAF1/view?usp=share_link

xiihttps://www.ville-rail-transports.com/ferroviaire/railcoop-arrete-son-activite-fret/

xiiihttps://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes-cote-d-azur/bouches-du-rhone/tarascon/tarascon-usine-qui-pollue-toute-impunite-1426433.html

xivhttps://www.francetvinfo.fr/monde/environnement/enquete-deforestation-inc-derriere-deux-usines-de-pate-a-papier-francaises-un-groupe-indonesien-implique-dans-la-deforestation_5686703.html

xvhttps://www.francetvinfo.fr/economie/tourisme/artisanat-fabriquer-du-papier-avec-du-tissu_4056005.html

xvihttps://www.graphiline.com/article/22666/papier-fabrique-tissus-vetements-recycles

xviihttps://www.greenpeace.fr/reportage-lafrique-depotoir-de-la-fast-fashion/

xviiihttps://france3-regions.francetvinfo.fr/normandie/normandie-leader-mondial-production-lin-on-vous-explique-1651200.html

xixLa question de la lecture numérique est loin d’être aussi simple.

xxhttps://www.francetvinfo.fr/culture/livres/le-livre-le-plus-vendu-de-l-annee-2022-en-france-a-ete-la-bd-le-monde-sans-fin_5568543.html

xxihttps://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/usages/consoIndus.html

xxiihttps://drive.google.com/file/d/1gt1gggq2gRVDv01YXx6lh0NGZW_8JxIS/view?usp=share_link

Une réponse à « Copie Simple #2 »

  1. Intéressant

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