Copie Simple #3

Si vous nous suivez sur les réseaux sociaux, vous avez peut être vu que nous avons signé la Charte pour l’Écologie du Livre. Mise au point par un comité interprofessionnel et pilotée par Normandie Livre & Lecture, cette charte nous invite, entre autres, à la transparence et la traçabilité sur les matériaux que nous utilisons. Nous ne vous cacherons rien : pour faire un livre, il faut du papier. Et, si des alternatives existent telles que le papier de lin, celui de mûrier, ou celui fabriqué à partir de chiffons recyclés, l’immense majorité du papier graphique est fabriqué à partir de pulpe de bois, elle même issue de forêts ou de plantations d’arbres.

La pertinence des labels

Une première tentative de définition s’impose. Libristes, nous reprendrons celle de Wikipédia pour définir une forêt comme un écosystème relativement étendu et composé majoritairement d’un peuplement d’arbres, arbustes et arbrisseaux, ainsi que de l’ensemble des autres espèces vivant en interaction au sein de ce milieu. A l’opposé, une plantation d’arbres est un terrain peuplé de plantes obtenu à l’issue de l’opération visant à mettre en terre de jeunes pousses dans le but de produire du bois.

A première vue, il est difficile de deviner si le livre que l’on a entre les mains vient d’une forêt ou d’une plantation. La pâte à papier faisant partie d’un marché mondialisé, difficile d’identifier exactement d’où provient la matière première utilisée lors de la confection du papier. Il existe même certains procédés capables de « blanchir » des fibres de bois exotique dont l’importation est interdite sur le continent européen. En Europe, l’industrie papetière a toutefois su participer à la mise en place de certifications exigeantes bien que peu connues du grand public : l’Ecolabel Nordique (Nordic Swan), l’Ange Bleu (Der Blaue Engel) et l’écolabel public européen (EU Ecolabel), sur lesquelles vous trouverez plus d’informations sur le site de l’ADEME.

Mais, ces labels concernent le papier et les fibres végétales avec lesquelles il est fabriqué, revenons en à nos forêts. Les deux labels les plus connus certifiant la gestion durable d’une forêt sont les labels PEFC et FSC. Si le premier possède tous les atours du greenwashing, allant même jusqu’à accorder sa certification à une entreprise condamnée à de multiples reprises pour déforestation durant ces 20 dernières années, l’efficacité du second est parfois louée, parfois décriée, en fonction de la méthodologie employée. On reproche par exemple à ces labels le manque d’évaluations indépendantes sur le véritable impact des mesures prises en place, bien que certaines entreprises montrent une vraie volonté de mettre en place des changements significatifs.

Forest Stewardship Council, cas français et coupe rase

Si une large part du bois français se situe hors métropole, et plus précisément en Guyane où la question de la protection de la forêt amazonienne tarde à se faire entendre, on estime que 31 % du territoire métropolitain est couvert de forêts et plantations. Toutefois, les profils des propriétaires de ces bois restent variés : si 25 % dépendent de terres domaniales ou communales (c’est à dire qu’elles appartiennent à l’État), le reste appartiennent à des propriétaires privés plus ou moins gros. Seules les parcelles forestières de plus de 25ha nécessitent un plan de gestion forestière détaillant les coupes à venir.

Bien que la majeure partie de la déforestation (d’autant plus en Guyane) soit imputable à l’industrie agroalimentaire, l’exploitation de nos forêts est parfois le premier pas vers cette déforestation, amenant infrastructures routières et main d’œuvre sur site. Il est difficile, voir improbable, que du bois issu des filières françaises puissent arriver sur le marché sans être estampillé de labels PEFC ou FSC. Seulement, un manque de rigueur dans le contrôle de ces forêts labellisés, voire des conflits d’intérêts, sèment le doute sur la fiabilité de ces certifications. Et si l’hypothèse du numérique se présente parfois comme une alternative à la déforestation, rappelons que le papier existait bien avant l’utilisation des énergies fossiles, et que la filière du numérique se pose des questions sur comment se concentrer sur l’essentiel, 2/3 à 3/4 des impacts environnementaux des outils numériques se situant lors de leur fabrication.

L’Office National des Forêts (ONF), organisme public chargé de la gestion de nos forêts et d’apporter son conseil aux exploitants privés et aux particuliers, commercialise à peu près 35 % des volumes de bois sur le marché français. Mais si l’ONF est en charge de la gestion des forêts du domaine public, on assiste depuis de nombreuses années à sa privatisation. L’augmentation du volume de coupes demandées et le recours à la contractualisation des agents forestiers y casse les conditions de travail, malgré la bataille des syndicats. Ceux ci, toutefois, commencent à s’organiser, mettant sur une même table luttes sociales et écologiques au sein du collectif SOS Forêts France.

Logo des labels papier considérés comme excellents :
- Ange Bleu
- Écolabel européen
- Écolabel nordique

Logo des labels papier considérés comme très bons :
- Forest Stewardship Council
Humour d’État (Source ADEME)

Si les ravages de agro-industrie sur l’environnement sont entrés dans le débat public, la même logique d’industrialisation touche nos forêts. Des coopératives de la filière bois forêt poussent en avant le choix d’une forêt de plantation, élégant oxymore dissimulant l’anéantissement de la biodiversité. L’État français a quant à lui fixé l’objectif de planter 1 milliard d’arbres d’ici 2030, et en a confié la mise en œuvre au Ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire (MASA). Celui ci a mandaté un comité spécialisé du Conseil Supérieur de la Forêt et du Bois pour rédiger des propositions stratégiques, propositions validant finalement cette stratégie de plantations peu diversifiées, et tenant à l’écart tout critère de protection de la biodiversité. Entre le Ministère de la Transition Énergétique et celui de l’agriculture productiviste, c’est l’industrie qui remporte la main. Et ce, grâce au lobbying de coopératives forestières, détentrices de ces fameux labels FSC et PEFC.

Le bois, ressource rivale, ressource vitale

Pour en revenir au monde du livre, un des plus gros groupes éditoriaux français, le groupe Editis, vient d’être racheté par le milliardaire Daniel Kretinsky, déjà actionnaire des journaux Le Monde et Marianne, et principal actionnaire du groupe Fnac Darty. Ce discret milliardaire a fait fortune dans les énergies fossiles, entre autres grâce à des centrales à charbon actuellement en reconversion en centrales à bois. Cette reconversion est financée en partie par l’Union Européenne dans le cadre de l’augmentation de la part d’énergie issue de ressources renouvelables, malgré les lettres de scientifiques plaidant pour le contraire.

Groupe énergétique et éditorial pratiquant le butinage fiscal (Source Wikimedia CC-By-SA 4.0 Ivar Leidus)

Mais, si le bois est renouvelable, les volumes de bois produits constituent ce qu’on appelle une ressource rivale, c’est à dire que leur utilisation par un acteur en prive un autre. Ainsi, ce mécène des lettres et du journalisme possède des intérêts dans deux industries différentes, utilisant toutes les deux du bois. Loin de vouloir pointer du doigt, cette situation est tout simplement trop curieuse pour que nous n’en parlions pas, et illustre parfaitement les problématiques de gouvernance que traversent la filière forêt bois, dont le déficit commercial augmente peu à peu. En cause ? D’une part, la diminution de la production française de pâte à papier malgré l’essor du e-commerce nécessitant moult emballages cartonnés, d’une autre l’absence de filière industrielle (ou, avec de l’ambition, artisanale) française capable de valoriser le bois issu de nos forêts et les coproduits créés lors de sa transformation.

A l’opposé, certains modèles alternatifs persistent depuis plusieurs siècles. En Gironde, la forêt de la Teste de Buche porte le statut de forêt usagère, un statut ayant survécu à 6 siècles et une Révolution. Tandis que les parcelles forestières sont des propriétés privées, les usager·es peuvent utiliser le bois comme bois de chauffe, et certains arbres sont choisis pour devenir du bois d’ouvrage, au cas par cas. Ce partage de la forêt est loin d’être sans conflit, mais le statut persiste pourtant, sous la double houlette du ministère de l’agriculture et celui de l’environnement. D’autres approches prônent une sylviculture douce, ou de nouvelles cultures forestières.

(Edit : Si le statut subsiste, la forêt de la Teste-de-Buch est aujourd’hui en péril.)


Les limites planétaires en 2022 (Source Reporterre)

La gestion des ressources forestières est un sujet complexe, et il est parfois difficile de s’informer sur un sujet où de nombreux labels tendent à présenter une image verte pour des projets délétères pour l’environnement. Pourtant, si les forêts sont parfois présentées comme des puits carbone, l’exploitation de la matière première touche à de nombreuses limites planétaires. Le bois énergie, si cher à l’Union Européenne, disperse les particules fines dans l’atmosphère et augmente la charge en aérosols. Les plantations en monoculture impactent la biodiversité et les coupes rases libèrent le carbone stocké dans le sol tout en les appauvrissant, tandis que le réseau routier nécessaire pour exploiter les massifs forestiers artificialise les terres, tout en appauvrissant les communes chargées de l’entretenir.

Comme les arbres, Aller plus haut

Le livre Main basse sur les forêts de Gaspard d’Allens (Groupe Media Participations ⇒ Privilégiez l’emprunt en bibliothèque).

Le livre est il écologique, éditions Wild Project. Les droits d’auteur sont reversés à l’Association pour l’écologie du livre, et celle ci est en manque de professionnel·les du bois. Si vous vous reconnaissez dans cette description, n’hésitez pas à aller y faire un tour.

La newsletter de l’association Canopée Forêts vivantes, et leur site web riche en ressources.

Un guide pour bien choisir son baudrier, afin de bloquer les coupes rases en toute sécurité.

EDIT 25/09/2023 : Daniel Kretinsky a cédé ses parts du Monde à Xavier Niel

Une réponse à « Copie Simple #3 »

  1. J’adore le graphique sur les limites planétaires, même s’il fait froid dans le dos.

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